La famille est un long processus d'humanisation du Muuntu, pour le rendre plus social et plus humain. Muuntu, grâce à la glande épithéliale qui irrigue ses "ntongua" (nto = rivière / ngua = force de l'entendement ou nguilulu): ainsi, l'Etre de celui dont toute l'action est censée être sous le contrôle de son cerveau (ntongua) ne saurait ménager aucun effort pour savoir s'adapter aux autres et à tout son environnement vital. Ce long processus d'humanisation et de socialisation de l'être se meut au sein d'une cellule de proximité de vie avec des principes spécifiques à chaque groupe; d'après son lignage ancestral, en fonction de sa tribu, de son clan, de l'ethnie, etc.
L'accomplissement de ce processus de former la personne humaine à devenir un "muuntu-bantu" (l'être humain sociable sur qui on peut compter en société) est fondamentalement enraciné dans les ramifications des liens, tel que rapporté par l'éminent koongologue Rudy Mbemba-Dya-Bô-Benazo-Mbanzulu qui cite le Cardinal Biayenda: "C'est ainsi que la famille, celule de base de toute société en général et de la société Bakoongo en particulier implique, comme l'écrit le vénéré Cardinal Biayenda, une très large ouverture quant aux individus qui la composent. Elle comprend non seulement le père, la mère, les enfants et les grands parents immédiats, mais tous ceux que lie ensemble la parenté de sang, à n'importe quel degré en y ajoutant également tous ceux que peut rapprocher de cette entité toutes les affinités par alliance." (cf. Le Cardinal Emile Biayenda et les douze clfs de la conscience socioculturelle des (ba)-Koôngo, p.20, éd. ICES). La complexité de cette définition de la famille traduit effectivement ce que signifierait "Ka-nda" avec son suffixe "nda" qui fait allusion à la portée qui évoque la notion de l'ensemble familial, par delà les générations.
La perception de la famille nucléaire n'est pas Koongo, elle appartient aux autres du fait que "mwana mukoongo naît au cœur des huit (8) mvila (lignages) dont deux multiplié par deux du coté paternel (de sa paternité et de sa maternité) et pareillement du côté maternel; c'est pour cela que "mwana mukoongo wa naana kuandi !"(innocent, mais il se doit d'être aussi impartial que possible). Ainsi, le mukoongo est "un musi Kanda, un membre appartenant par exemple à la lignée V ou issu de cette lignée,c'est-à-dire de la branche gauche de sa mère. Un mwana, un fils issu de la lignée X, c'est-à-dire de la branche droite de son père. Un ntekolo Y, un petit fils issu de la lignée Y, c'es-à-dire de la branche droite de sa mère, un ntekolo Z, un petit fils issu de la lignée Z, c'est-à-dire de la branche gauche de son père.(cf. Rudy Mbemba, idem, p. 32). Cette ramification des liens sacralise le "muuntu"qui n'est jamais tout seul, le fait de son association génétique à la pluralité des "ma kaanda ma bantu mu yandi". Ce mot kaanda qui résonne aussi comme une détonation puissante dont l'échos s'entend au très loin (ka-Nda). C'est aussi la première école initiatique aux mystères de la vie: "Ka Anda", du verbe "handa" qui signifie initié ou être initié à... dans ce sens, le proverbe "kanda bizi ntsende" prend toute sa signification, car il faudra être conséquent, pour appartenir à la famille, savoir prendre de la hauteur et faire ainsi preuve de beaucoup de délicatesse, tant la famille couve une multitude de problèmes parfois difficiles à résoudre, comme lors de la consommation du poisson, savoir en avaler la chair sans les arêtes ! Cependant, en dépit des impondérables, la famille demeure le dispositif de sécurité le plus naturel où chacun, en communion avec ses ancêtres et en lien harmonieux avec les vivants de celle-ci bénéficie de sa solidarité pour son épanouissement. Mais chacun doit participer activement à la constitution de son patrimoine, d'où le proverbe "wa dia fua yika dio". Les parasites n'ont pas bonne réputation en son sein et bien souvent connaissent la marginalisation. Pour mukoongo d'antan, son attachement à la famille ou au clan est une chose insécable, car le mot Kanda évoque aussi cette tendresse que l'on reçoit lorsqu'on a été frappé par une épreuve qui laisse des marques; lorsqu'une personne avait eu une contusion par exemple, on lui appliquait une sorte de massage avec une feuille appelé "yuyuka" que l'on passait sur le feu,puis on la glissait délicatement sur la partie souffrante afin d'évacuer et la douleur et la disparition de la contusion... cette illustration thérapeutique vient mettre en exergue le rôle réparateur de la famille. Hélas, la famille traditionnelle qui vivait principalement au village a connu les évolutions de la vie urbaine qui a apporté des mutations évidentes dans ses mœurs et ses coutumes. La célèbre lettre pastorale sur la famille du cardinal Emile Biayenda, en 1975 est des plus édifiantes à ce sujet. Aujourd'hui, la famille se réduit en peau de chagrin à cause des conjonctures de la vie urbaine avec ses évolutions vertigineuses auxquelles la révolution du numérique et les réseaux sociaux ne sauraient être anodine, tant le sens du dialogue a perdu de sa quintessence... il reste a exploiter à bon escient ces magnifiques possibilités que nous offre le progrès scientifique et technologique pour nous humaniser davantage, entre le virtuel et la réalité probante.
Vivant désormais dans le village planétaire, bien loin des personnes du même lignage, du même clan, de la même ethnie, comment vivre de la substance du lien familial dans l'entre soi et aussi avec les autres des cultures différentes pour former une famille en humanité ? A observer le siècle qui nous abrite, nous pourrions constater que l'humanité était passé par là avec ses hauts et ses bas, que le 21 e siècle inaugurait le transhumanisme ou le posthumanisme bien bien en promotion, avec son mode de production et de consommation. Les droits humains sont relégué au second plan, la culture de la violence est savamment orchestré par les médias... bref. Les mutations sociopolitiques et économiques transforment nos sociétés à une vitesse inattendue, ainsi la famille (kaanda) ne saurait être de marbre dans des sociétés qui bougent sans cesse... les guerres déracinent les familles de leur aire d'encrage géographique, pour l'errance ou pour s'établir ailleurs. Des unions conjugales de circonstance viennent s'imposer dans la précarité structurale. Le Mpfumu kaanda (le chef de clan) qui rassemblait et préservait la famille est dépossédé de ses attributs et ses membres disséminés ici et là au gré des circonstances ont contracté des alliances supra territoriale loin des "mvila" compatibles pour fonder une union conjugale (la famille) selon la vision traditionnelle du kaanda. Les conséquences du village planétaire qui ont fait fondre les petits villages ethniques au profit de la mondialisation nous réclament un dépassement absolu, car l'autre qui fut jadis étranger devient un membre de la famille et c'est l'humanité toute entière qui s'invite dans les familles, autrefois fermées et limitées par des clivages ethniques. "La fraternité n'est pas une émotion passagère; elle est encore moins un saupoudrage éthique destiné à masquer les difficultés. Elle est une réelle transformation des rapports humains car, sans nier les différences, elle affirme que celle-ci ne sont que secondes au regard de notre humanité commune qui fait de nous les membres d'une seule et unique famille: la famille humaine." (cf. message de l'évêque de St Denis du 1er septembre 2017, à l'enseignement catholique de sondiocèse). Les réseaux sociaux avec leur côté virtuel nous ramènent des nouveaux "membres de la famille" que nous constituons en humanité. Des nombreuses relations figées ou virtuelles ont fini par engendrer de réels liens sociaux qui élargissent notre appartenance à cette humanité en partage. Le tout reste à ne pas y laisser ses plumes ! C'est pour cela que notre patrimoine culturel koongo nous interroge: qu'allons-nous faire de tout ce qui a constitué notre fierté, nos traditions, de l'âme de la civilisation Bantu et koongo plus particulièrement, alors que les piliers fondamentaux du kimuuntu sont entrain de s'écrouler avec la panoplie des anti valeurs ?
La question est d'une grande importance et le "kueisme" y répond par le "savoir composer avec l'altérité -kohko maaji-kohko mungua" et ne jamais lâcher prise à la transmission du kikulu, afin que survive le " kaanda" des tumultes des mutations socioculturelles et politiques du siècle présent et à venir; car l'immortalité du clan demeure un principe immuable, par delà les mutations. Mukoongo aura à jamais partie liée avec ses "bakulu". A chacun de se laisser interpeller par les crises des temps présents. THAUKO.COM à votre service !
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire