L'AUTORITE CHEZ LES KOÔNGO
DES
MOTS ET DE LA CONSCIENCE SOCIALE EN MATIERE D'AUTORITE OU DE COMMANDEMENT CHEZ
LES KOÔNGO
D'un point de vue définitionnel,
l'autorité est le pouvoir de commander, de prendre des décisions, ou de se
faire obéir. C'est aussi, le fait d'exercer un pouvoir, étant entendu que,
celui-ci est l'ensemble des prérogatives
qui permettent aux hommes et femmes appartenant à un groupe humain donné
d'agir, de décider, d'une manière ou d'une autre, et ce, en accord avec les
recommandations sociales communément admises par le groupe.
Dans la société Koôngo, c'est le mot
ki-mfumu qui renferme toutes les prérogatives afférentes à la notion
d'autorité. C'est à ce titre que, le détenteur de toute autorité au sein de
cette communauté Koôngo est appelé Mfumu.
Lorsqu'il s'agit d'un détenteur de
l'autorité dont la fonction est celle de diriger le village, on l'appelle
communément Mfumu n'gâta, ou Mfumu nsi c'est-à-dire, le chef du
village.
A dire vrai, le mot Mfumu
dérive du nom d'un arbre que les Koôngo désignent par le terme mu-fuma.
Il s'agit d'un fromager lequel est, selon les croyances spirituelles bantoues
et particulièrement Koôngo, un arbre sacré. Arbre géant et fascinant par sa
taille, le mu-fuma ou le fromager africain, se reconnaît par sa taille
de 40 mètres voire de 60 mètres. Il est particulièrement reconnu par ses
énormes épines qui parent son tronc.
Cela dit, un fort mysticisme entoure
le mu-fuma ou fromager qui en fait un arbre respecté et protégé.
En Afrique et particulièrement chez
les Koôngo, le mu-fuma ou fromager est considéré comme un arbre sacré
tout comme le baobab ou mu-koôndo en occupant notamment un rôle central
dans beaucoup de contes où il aide le personnage principal, en se posant comme
intermédiaire entre le monde sacré des humains et le monde des défunts. C'est
l'arbre qui abrite, dit-on les esprits des ancêtres.
De plus, le mu-fuma est un
arbre médicinal qui, à ce titre comporte des propriétés anti-inflammatoires et
hypoglycémiantes. Par exemple, la décoction de son écorce est utilisée pour
traiter les coliques abdominales et le décocté des feuilles est utilisé contre
les aptes, la gingivite, les diarrhées, les troubles intestinaux, les maux de
ventre.
Par ailleurs, le mu-fuma ou
fromager est, aux Antilles, lié à l'histoire de l'esclavage où, il a
servi , de par sa solidité, aux esclaves désireux d'échapper aux
conditions de vie inhumaines, du fait donc de l'esclavage, de se pendre.
C'est
ainsi que les esclaves étaient, dit-on persuadés que s'ils se pendaient aux
branches de mu-fuma ou de ce fromager leur âme parviendrait à voyager
au-dessus des mers et de retrouver celles de leurs ancêtres.
Cela dit, chez les Koôngo, et ce,
analogiquement parlant, l'arbre de mu-fuma, est en étroite relation avec
le devenir existentiel de l'être ou du Muuntu. Autrement dit, comme le
rapporte, à juste titre le père Van Wing, pour le Muntu, « Nzambi
Mpungu uyidika beto minti dimoya », c'est-à-dire Nzambi Mpungu, l'Être
suprême, le créateur de tout l'univers, le maître souverain nous a façonnés,
arbres vivants. [ Van Wing in « Etudes Bakongo sociologie, religion et
magie » 2ième édition 1959 P.298.]
C'est dans cet ordre des choses que,
le chef plus précisément le chef du village est assimilé chez les Koôngo, à
l'arbre de mu-fuma ou fromager qui est, par excellence l'arbre
symbolique du principe même de l'autorité.
D'où l'étymologie du nom qui lui est
attribué, celui de Mfumu ( qui n'est autre qu'un condensé du mot mu-fuma)
par référence à l'arbre de mu-fuma lequel arbre est, entre autres,
beaucoup apprécié par l'aigle pour établir son nid. En effet, l'aigle a un goût
assez prononcé pour construire son nid d'un mètre cinquante sur des mi-fuma
ou fromagers (ou bombax) à une hauteur de 30 à 50 mètres. C'est là où,
il pond ses œufs en les couvant pratiquement pendant près de deux mois. Il peut
voler sur de longues distances en s'écartant de son nid, mais il finit toujours
par y revenir.
D'où le proverbe Koôngo selon
lequel :
« Mbemba
ka zungana tululu tsiandi mu-fuma », c'est-à-dire, l'aigle peut
quitter son univers résidentiel qui est établi sur les branches de mu-fuma
en allant très loin, cependant il finit toujours par y retourner.
Ce qui, sur le
plan analogique, signifie qu'un ressortissant Koôngo peut sortir de son
territoire en voyageant, à travers le monde, ici et là, n'empêche qu'il ne doit
jamais oublier le Koôngo de ses ancêtres, la mère-patrie.
Cela sous-entend
que, l'exercice de l'autorité par le chef requiert, pour qu'il devienne
effectif ou raisonnablement social et humain, la force, la justesse, la
sagesse, l'habileté et le bon sens.
Il s'agit là, peut-on dire, des
qualités que lui reconnaissent ses sujets et en vertu desquels, ils se sentent
en sécurité, à l'instar de Mbemba ou l'aigle qui n'hésite guère à
retourner sur son nid construit sur des branches de mu-fuma tant pour sa
sécurité que pour celle de ses petits que sont, les aiglons.
C'est dans cette optique que, le
représentant de l'autorité, chez les Koôngo est, en quelque sorte, un mu-fuma,
c'est-à-dire, cet arbre robuste dont les racines sont solidement et durablement
enfouies sous terre. Il est, somme toute,
un mfumu, en raison des prérogatives qu'il détient et en vertu
desquelles, il est, le référentiel, le pilier social sur lequel repose les
espoirs de tout un peuple, le justicier, le protecteur, le gardien de l'ordre
social de son village.
Le chef est, chez les Koôngo, un mu-fuma,
c'est-à-dire un Mfumu parce qu'il jouit, comme le rappelle si bien
le vénéré Emile cardinal Biayenda « d'une très haute autorité morale,
politique et social. Il inspire crainte et confiance aux yeux des membres du
clan et des alliés. Il est le symbole vivant du clan et de son unité. Il est
celui qui est le dépositaire des insignes, biens familiaux et claniques laissés
par les ancêtres : souvenirs, fétiches, etc... C'est l'intercesseur et le
défenseur selon le cas du clan devant les vivants et les défunts. Il
veille sur l'intégrité de la propriété clanique. » [ Abbé Emile
Biayenda in « Coutumes et développement chez les Bakongo du
Congo-Brazzaville » 1ière partie Thèse Institut catholique de Lyon
1968 P.37.
Aussi, compte tenu de son importance,
de sa gravité et donc de sa grandeur l'exercice
du pouvoir ou de l'autorité ou ki-mfumu n'a jamais été, chez les
Koôngo, une affaire d'un individu même d'un clan dans un village abritant
plusieurs familles claniques.
De toute façon, tout prétendant au
trône, dans l'ancien Koôngo, doit impérativement, peut-on dire, remplir les
caractéristiques que voici : il doit être,
1.
un Ntootela, du verbe toota, ce
qui veut dire ramasser, récolter etc. Il est, en quelque sorte, un ramasseur
des terres, c'est-à-dire un partisan du dialogue qui, inexorablement passe par
l'unité des clans ou villages et donc de l'union de plusieurs terres.
2.
Un Mu-fuma, autrement dit un mfumu,
en ce qu'il doit être un puissant et un géant personnage, à l'instar de l'arbre
robuste de mu-fuma, de par sa bonté, sa finesse d'esprit, son
intelligence et sa sagesse dans l'art de gouverner le royaume.
3.
Un Mani, c'est-à-dire, un
protecteur, un gardien avéré des biens de la communauté. Il est le possesseur
des biens, à l'échelle royale pour un usage d'intérêt général ou d'utilité
publique. Mâni étant ici un adjectif possessif ( ma n'gâta mâni,
ce qui relève du domaine possessif de la royauté).
En
définitive, le pouvoir royal était institutionnellement parlant exercé
par :
-
une caste dirigeante composée du Ntootela ( autrement appelé Mani-koôngo, Mfumu nsi
ou Mfumu n'toto) et de ses plus proches collaborateurs parmi lesquels
figurent quelques gouverneurs de province.
-
un Conseil d'Etat qui joue un rôle capital dans le choix du nouveau roi au
moment des successions, dispose, entre autres, du pouvoir d'exécution des ordonnances royales
ou du Mfumu nsi. [ Actualité et Inactualité des « Etudes
Bakongo » du père J. Van Wing. Actes du Colloque de MAYIDI du 10 au 12
avril 1980. P.74.]
-
un Corps administratif lequel corps était constitué des gouverneurs de
province, des fonctionnaires de la cour, des prêtres chargés du culte des
ancêtres et des chefs de villages (Les Nkuluntu).
En
somme, le Mukoôngo est démocratiquement très exigeant quant à l'exercice de ki-mfumu
ou de l'autorité, car il a été, longtemps durant, marqué par la gravité et la
probité qu'exigent la gestion des biens collectifs, l'esprit de justice et du
respect des lois. Jadis, voire même aujourd'hui, un Mfumu ou le représentant de
l'autorité politique ( le mot chef étant ici un terme inapproprié pour désigner
le détenteur du pouvoir politique chez les Koôngo) est ou doit être à ses yeux,
un médiateur plus que gendarme, un arbitre plus que juge, un guide éclairé plus
que législateur.
TAATA NDUENGA