jeudi 12 octobre 2017

L'éducation (Lusantsu na ndongosolo)

Un thème qui passionnait tant le vénérable Cardinal Emile Biayenda dont nous commérant le 40e anniversaire de son "entrée dans la vie", comme l'aurait dit Thérèse de Lisieux. Oui, l'éducation fut la pierre de faîte du ministère épiscopal du "Mpfumu Nganga, notre Mukukuniungu, Taata Emile Biayenda qui y déploya toute une pédagogie, pour prévenir la jeunesse des dérives du futur tout en instruisant les anciens de savoir préserver l'essentiel des fondamentaux qui construisent et solidifient la vie humaine, dans nos sociétés Bantu.
  Le terme éducation est noble de sens aussi bien dans la langue de Voltaire que celle de "bisi Koongo". Parler de l'éducation c'est recourir à faire grandir, à encadrer, à accompagner sur le chemin de la croissance physique, spirituelle et intellectuelle. Eduquer c'est aussi faire grandir en humanité, faire sortir d'un cadre inapproprié pour un univers cohérent, celui des valeurs...
  Dans le "ndinga koongo-sundi-ladi", l'éducation est perçue comme un long processus d'humanisation, tel que l'indique les mots: " Lusantsu na ndogosolo".
  * Lusantsu vient du vocable "Saantsa". Si nous pouvions nous permettre un peu d'exégèse sur ce mot, nous lui découvririons le préfixe "sa" qui sous entend en langues koongo-sundi-ladi, le fait de faire, d'ajouter à... le suffixe "ntsa" indique le goût acidulé, un goût très prononcé qui nécessiterait soit un peu de sucre soit un peu de sel ou un peu de piment pour le relever ! Cette analogie au mot "saantsa" nous révèle le processus complexe de l'éducation qui consiste non seulement à donner a manger à l'enfant, à le vêtir, mais aussi et surtout à préparer en l'enfant d'aujourd'hui, l'adulte de demain. Ce qui ramène dans le simple fait de la croissance biologique, les ingrédients de la croissance morale, par le biais de la culture et aussi la croissance spirituelle; afin d'unifier l'Homme intégral (corps-âme-esprit). "Saantsa", c'est aussi couvrir de bienveillance et de sollicitude, la personne qui serait en état de nécessité ou de besoins telle qu'une mère qui venait d'accoucher ou à l'approche d'un accouchement. "Ma kibuti" devait se faire accompagner et toujours être assistée par une "ndezi". Celle-ci prenait en charge les petits soins de la mère et de son bébé, jusqu'à ce qu'elle recouvre suffisamment d'énergie pour renouer avec ses tâches ménagères habituelles. En langues "koongo-sundi-ladi", cela se disait "moyo wa tsidi wa muasi". La coutume considérait qu'une femme ayant accouchée portait en elle le grand vide que le bébé venait de laisser dans ses entrailles. Pour cela, une aide (ndezi) lui était nécessaire pour des bains rituels, lui préparer ses repas, l'aider à prendre soin de son bébé, pour lui permettre de récupérer des suites de la fatigue de l'accouchement et de son sommeil perturbé par les pleurs ou les veilles nocturnes du bébé...Bref. Tout en prenant soin du nouveau né, la communauté (la famille) prenait également soin de l'enfant jusqu'au rite de "dukisa mwana", le second rite de passage de "mwana mukoongo", une sorte de présentation officielle du bébé à toute la communauté qui devait accueillir un nouveau membre en son sein, rendant public le ou les noms que celui-ci portera désormais. C'est toute la communauté qui devra désormais veiller à l'éducation de cet enfant. Chacun dans son "kibelo" (quartier résidentiel) se sentira concerné (toute la communauté "saantsa"mwana).
* Ndongosolo (Initiation), la transmission des enseignement ou des apprentissages; des acteurs spécifiques vont devoir intervenir dans l'accompagnement pédagogique de l'enfant, outre les apprentissages et l'initiation de base qui font partie des us et coutumes quotidiennes assumés en famille. Le terme Ndongosolo est chargé de symboles, car il englobe les verbes "longesa" "luengesa": longesa qui signifie enseigner ou transmettre, le verbe " luengesa" veut dire  prévenir ou instruire, tandis que "longa" qui surgit du même groupe de mots signifie conseiller et enfin le terme "longo" (alliance). Ces trois déclinaisons qui jaillissent de la même source illustrent la noblesse de ce métier, de cet art d'éduquer, car en éduquant , on enseigne. Dans l'enseignement, il y a la transmission des connaissances qui se fait à travers la voie de "Ndo" (l'émission des ondes), comme nous l'indique l’éminent koongologue dans son remarquable ouvrage hommage au vénérable Cardinal Biayenda, pp. 158-160, en son annexe 11. En éduquant, on prévient et en instruit également, on oriente aussi par la voie des conseils (maloongi). "Maloongi" constituaient le premier système préventif de la pédagogie koongo, illustré à titre d'exemple, par le proverbe:"longa mwana wu tama kuenda ku zaandu, ka ku longandi wo vutukidi ko" (savoir anticiper sur les imprévus; il serait plus judicieux de conseiller un enfant qui va au marché, par rapport à sa ligne de conduite sur ce lieu, que de couvrir des reproches, celui qui en revient; ce sera bien trop tard !). L'éducation c'est aussi jouer au jeu de "l'alliance" entre l'émetteur et le récepteur: l'adulte est sensé être l'émetteur et l'enfant le récepteur; quoi que de nos jours, cette équation rencontre tant d'impondérables, tant d'inconnues...pour que la transmission se fasse dans de bonnes conditions, l'enfant ou le jeune doit adhérer à la vision de l'adulte qui lui montre le chemin de son devenir. 
Ainsi "Lusantsu na ndogosolo" disent mieux l'approche de l'éducation chez les koongo, car celle-ci avait pour école : Mboongi. Le vénérable cardinal Emile Biayenda écrivait ceci à ce sujet: " C'est au mboongi que l'enfant recevait conseils et avis. Tous, vous en avez le souvenir, quelquefois nostalgique, de cette ambiance extraordinaire qui régnait au mbongui. Depuis notre plus petite enfance, nous restons marqués par ce que nous avons appris, découvert, vu, écouté au mbongui où nos parents se rassemblaient et où arrivaient et étaient discutées toutes les nouvelles de la famille, de la ville et même du monde. Le mbongui c'était "l'âme" du village et c'est au mbongui que l'enfant recevait la plus grande part de son éducation" (cf. Cardinal Emile Biayenda, lettre pastorale de carême 1974, sur l'éducation des enfants). Les jeunes filles et les garçons de moins de 9 ans continuaient à recevoir leur formation humaine, autour des trois "bikuku" de la cuisine où la maman initiait ses jeunes enfants aux bonnes manières, à l'éducation de base reçue au foyer parental.
Les méandres de la modernité ont changé la donne de cette approche éducative traditionnelle , pour faire place à l'impasse du jeu de rôle inversé où ce sont les enfants qui font les parents ! La lucidité du bon pasteur attribuait de son temps cette crise de l'éducation à la disparition du mbongui. Il poursuivait: "L a disparition du mbongui me semble être une des causes les plus importantes de ces difficultés rencontrées pour éduquer nos enfants. Il y en a d'autres: psychologiques, économiques ou sociales. Je ne chercherai pas à les passer toutes en revues, je veux simplement en faire ressortir quelques unes qui nous aideront à faire la lumière et à mieux comprendre" (cf. Idem). Cette lettre pastorale mettait en évidence les fragilités de la société Congolaise des années 60-70. Hélas ! La situation s'est détériorée davantage depuis ce temps, avec les crises politiques qui ne cessent de générer des violences armées, l'errance des familles, la déscolarisation des enfants, le désœuvrement ourdi de la jeunesse, la délinquance sénile et juvénile constante...
Nos constats n'y feront rien. Il reste désormais à refonder une nation sur des valeurs sûres où l'exemplarité des aînés redressera les chemins tordues des cadets. Les simples bonnes intentions et les bons discours n'y feront rien non plus. Il nous faudrait beaucoup de lucidité pour cerner les causes de cette décadence morale collective et en discerner d'éventuelles issues de sortie, à une époque des vertigineuses mutations sociales, culturelles, politiques et économiques où , même les nations les mieux organisées battent de l'aile ! La profonde crise anthropologique que traverse notre siècle n'épargne rien non plus. La nature de la famille subissant de plein fouet des évolutions contestables liées aux questions bioéthiques comme la G.P.A, la P.M.A, le S.M.A, la bioéconomie et compagnies ne doivent point nous laisser planer uniquement vers une nostalgie d'un passé familial où les parents et par extension la famille avait pour ainsi dire, le monopole de l'éducation de leurs enfants. Tant d'intrus font irruption dans l'univers de l'enfance et de la famille que seule une société solidement aguerrie pourrait juguler les impondérables qui menacent les équilibres dont l'éducation de base de l'enfant. Les nouvelles technologies d'information et de la communication (NTIC) viennent bouleverser et changer radicalement les modes traditionnels de transmission et de facto les us et coutumes de nos sociétés traditionnelles. Nous alarmer, nous lamenter et gémir sur un passé aussi glorieux fut-il ne refera point les choses telles que nous les avions connu et y avions vécu. Il nous faudrait de l'ingéniosité et de la souplesse de l'esprit pour savoir composer avec l'altérité afin de vivre de l'essentiel de nos fondamentaux (kikulu) au milieu des vicissitudes d'un monde en contraction vers un accouchement difficile !
Communication et transmission
Dans les années 70 du siècle dernier, le pasteur de l'église catholique du Congo tirait déjà la sonnette d'alarme sur la bonne gestion ou le savoir vivre intelligible avec les moyens de communication du monde à venir dans lequel nous sommes déjà. Il écrivait: " Avec cette évolution du monde, rapide, extraordinaire, se développent des faits nouveaux: les moyens de communication, par exemple, qui font prendre conscience à l'homme de sa dimension universelle; les possibilités inouïes révélées par la conquête de la lune. Toutefois, ces faits nouveaux demandent à l'homme de s'asseoir et de réfléchir, car ils comportent un danger, un risque dont nous devons mieux prendre conscience pour pouvoir le dominer. Parmi tous ces faits nouveaux, il en est un qui s'impose à nous, Congolais, avec force et netteté: celui de l'éducation des enfants et des jeunes." (cf. Lettre pastorale du cardinal Emile Biayenda, carême 1974). La connexion aux réseaux sociaux déconnecte la famille en son sein pour le monde extérieur lointain. Avec ce paradoxe, que de liens réels escamotés au profit des liens virtuels, érigeant des murs de solitude et d'isolation des parents aux enfants de la génération 2.0, voir même au sein des couples où la parole conjugale est arrachée par des inconnus(es) qui font irruption à tout moment dans ce qui fut l'intimité conjugale...parole perdue-cohésion fracturée et intrusion des loups dans la bergerie ! C'est la parole qui rassemble (zonzeka = zonza, nzonzolo...). Lorsque la parole perd de sa verve, son verbe s'anéantie  et l'harmonie se rompt. C'est le manque de respect à la parole et à la parole donnée qui engendre toute crise institutionnelle et la famille ne saurait y échapper. Le mbongi était ce lieu de la parole partagée, celle qui édifiait les anciens et éclairait les les plus jeunes. Quelle éducation pourrions-nous promouvoir, lorsque la parole perd de sa noblesse ? Lorsque les réseaux sociaux qui devaient nous relier aux "lointains" deviennent les bourreaux de la parole, la pomme de discorde qui place chacun devant son univers de connection aux ramifications multiples: snapchat, wattsap, facebook, instagramm, sarahah, tweeter, etc. Si nous avions l'esprit alerte, nous ferions mieux de transformer ces réseaux sociaux en mbongi, désormais relié avec les lointains, dans une communion de partage...Bref. La crise de l'éducation passe aussi désormais par la communication pour transmettre.
Le système éducatif et ses écoles parallèles
Nous perdrions notre temps à répertorier les dysfonctionnements d'un système éducatif tant décrié de tous avec ses écoles parallèles. Les dispositifs post conflits n'ayant jamais fonctionné depuis les années 94 à nos jours; il serait plus judicieux d'être une force de proposition parmi tant d'autres que nous nous érigions en accusateurs béats.
Rien ne peut prendre corps convenablement dans un pays en perpétuelles tensions depuis des décennies. Des générations se succèdent dans les mêmes marasmes qu'il serait vain de proposer des solutions "miracles" pour redresser le système éducatif congolais tant que les crises politiques au plus haut sommet de l'état ne connaissent pas de dénouement définitif. A tout le moins, pour sauver l'essentiel, des états généraux de l'éducation nationale s'imposent, afin de restaurer tout le système éducatif en panne depuis bien longtemps, en commençant par un état des lieux région par région, car le Congo a pris énormément du retard sur le monde et même dans la sous région... nous allons droit vers la submersion totale, plutôt que vers l’émergence tant clamée. Ce serait avec les mots du vénérable Cardinal Emile Biayenda que nous conclurons cet article, tout en vous redirigeant vers d'autres publications plus anciennes de ce blog. Aussi, nous vous recommandons trois précieux ouvrages de Kounkoun kue Theodulos Auguste, pour creuser davantage notre réflexion et envisager l'avenir autrement: Tsikulu (G-10-Oui) - Matalana  - Kintuadi Mayela (Disponible en prenant contact sur nzenga.kongo@gmail.com). La situation étant préoccupante, laissons-nous de nouveau interpeller par la gravité de ces paroles: "Pouvons-nous faire quelque chose... ? C'est la question que la plupart d'entre vous se posent avec une certaine angoisse. Permettez-moi d'y répondre avec force, avec autorité, il y a quelque chose à faire tout de suite ! Celui qui ne se met pas tout de suite au travail, celui-là n'est pas un vrai congolais, celui-là n'est pas un fils de l'Eglise. Cela il faut le dire, il faut le répéter à temps et à contre temps, il faut le dire dans tous les lieux où vous vous réunissez. Je manquerais à mon devoir si je ne vous parlais pas ainsi avec fermeté: il y a quelque chose à faire. Dieu nous a donné une intelligence; nos ancêtres nous ont légué une sagesse que beaucoup nous envient. Asseyons-nous un moment, un long moment, asseyons-nous en famille, asseyons-nous en paroisse; asseyons-nous et commençons par faire la lumière et réfléchir." (Cardinal Emile Biayenda, lettre pastorale Carême 1974). E nkansukulu ...
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